Réserve Naturelle des Sept Îles
Chronologie d’une création salvatrice
Par Gilbert Cattoire – BreizhPress
Au début du XXème siècle, l’ancêtre de la Société Nationale de Protection de la Nature, la Société nationale d’Acclimatation de France, créée sous Napoléon III, est en crise. Les bouleversements économiques majeurs provoqués par la révolution industrielle transforment la société, remettant en cause les intentions utilitaires (acclimatation des espèces en provenance des colonies, domestication) à l’origine de l’institution. L’idée d’une nécessaire protection de la nature fait son chemin au sein de la société savante. Dès la fin du XIXe siècle, la mise en réserve d’espaces est pensée comme une solution à la destruction de la nature, pour repeupler les eaux douces françaises ou protéger le gibier.
La chasse n’est plus simplement une passion aristocratique, elle se démocratise et devient un divertissement populaire ravageur. La production des armes de loisir est désormais une industrie, la chasse a ses titres de presse, la taxidermie connait ses heures de gloire auprès d’un large public avide de curiosités empaillées, l’usage des plumes à chapeau dans la mode s’est généralisé. Au XIXème siècle la chasse est devenue un marché.
Les membres de la Société d’Acclimatation s’émeuvent des excès produits. Ils s’alarment de la disparition de nombreuses espèces. Un petit groupe d’ornithologues français songe depuis quelques années à créer une société pour la protection des oiseaux, à l’instar de la Royal Society for the Protection of Birds, fondée en 1889.
L’affaire de la chasse aux calculos (les macareux-moines) sur l’île Rouzic va fournir à la Société d’acclimatation l’occasion de créer la première réserve naturelle de France, en 1912.
XIXème siècle
Depuis des siècles les pécheurs de Perros-Guirec chassaient le macareux – au bâton, à la sortie du terrier – et ramassaient les œufs au printemps. Chasse traditionnelle et activité de subsistance qui se perpétue encore en Islande et sur les îles Féroé, où le macareux est un plat traditionnel. Mais en Bretagne, vers le début du XXème siècle, la réalité devient tout autre.
Autres temps, autres mœurs … toujours est-il que l’idée d’une nécessaire protection de la nature est déjà dans l’air du temps depuis la seconde partie du XIXème siècle, qu’une prise de conscience aura lieu assez vite, qu’à Perros-Guirec des décisions seront prises, demandées par la bonne société savante et approuvées par les personnalités politiques locales – l’éphémère filon de « la chasse au calculo » s’épuise, alors que le tourisme balnéaire se développe.
1911
Août 1911, Perros Guirec fête la procession du pardon de la Clarté, le massacre des macareux émeut les membres de la Société d’acclimatation, qui vont saisir l’opportunité
Louis Magaud d’Aubusson, ornithologue français, docteur en droit, président depuis 1907 de la section ornithologie de la Société nationale d’acclimatation de France, doyenne des associations de protection de la nature françaises, créée en 1854, va saisir la balle au bond avec quelques-uns de ses collègues.
En voici les plus connus.
Les fondateurs de la LPO et de la réserve des Sept-îles
A la charnière des XIXe et XXe siècle se produit une évolution majeure dans la façon dont certains savants considèrent la nature et les idées favorables à la protection se diffusent largement dans le milieu naturaliste. Cependant ces mutations ne débouchent que très rarement sur des actions efficaces. Les lois, souvent seules réalisations concrètes que les savants ont obtenues, sont maladroites ou ne sont pas appliquées.
Ce constat de relatif échec conduit à un changement de paradigme chez les protecteurs au début du XXe siècle : l’action directe devient nécessaire, et les futurs fondateurs de la LPO vont en faire la démonstration.
1912
Le 28 août 1912, la chasse est interdite sur l’archipel. C’est l’acte de naissance de fait de la réserve des Sept îles.
Années 2020
Sans doute l’esprit du temps a-t-il changé : le portrait de ces « chasseurs-ornithologues » de la haute société française en pionniers de la protection des espèces ne colle pas aux nécessités contemporaines du politiquement correct ni à celles d’un mythe écologique fondateur. Depuis les années ’70 il n’en n’est plus fait mention quasiment nulle part.
La LPO rassemblait une élite sociale traditionnelle composée d’aristocrates, de rentiers, de hauts fonctionnaires, de grands propriétaires terriens, dont le prince Paul Murat et le comte Delamarre de Monchaux, vice-présidents respectivement à partir de 1923 et de 1927, sont sans doute les meilleurs exemples. Conservateurs et nostalgiques du temps où la chasse était un privilège et un raffinement, méfiants tant à l’égard de la nouvelle bourgeoisie industrielle que du peuple, ils laisseront progressivement leur place à de nouvelles générations moins portées sur l’art de la chasse, plus ouvertes aux idées nouvelles. Autres temps, autres mœurs …
Il faut cependant, à l’instar de la Société Nationale de la Protection de la Nature, leur rendre hommage. La LPO et la réserve des Sept-Îles existent grâce à eux. Et c’est en usant de leur influence sur les politiques à priori réticents que de nombreuses traditions populaires « barbares », comme l’aveuglement des oiseaux chanteurs dans le nord de la France, finiront par être interdites.
De nos jours les macareux bretons ont toujours le même ennemi : l’homme. Leur population, qui était remontée à près de 7 000 oiseaux en 1950, va subir de plein fouet les marées noires des Torrey Canyon, Amoco Cadiz et Tanio. En parallèle les oiseaux de la Réserve des Sept-îles souffrent de la raréfaction du poisson, conséquence de la pêche industrielle. La pollution banalisée du quotidien, l’ignorance et l’indifférence parachèvent le tableau.
Aujourd’hui, leur nombre est estimé à moins de 200 individus ; deux fois moins qu’en 1912.
Cet article est dédié à Manu, marin émérite, biologiste et écologiste passionné, porteur de la reprise du Sant C’hireg avec Laurence, sa compagne ; tragiquement décédé en 2022.
Sources :
Peu de sources fiables sont aujourd’hui disponibles sur internet à propos de l’histoire de la Réserve des Sept-îles et de la LPO. Remerciements à Rémi Luglia, sans qui cet article n’aurait pas pu voir le jour.
Ouvrages et conférences de Rémi Luglia
Rémi LUGLIA, agrégé et docteur en histoire, est membre associé du Centre de Recherche d’Histoire Quantitative, UMR 6583 (CNRS/université de Caen Basse-Normandie). Il s’intéresse à l’histoire de l’environnement et des relations homme-nature et homme-animal.
Des savants pour protéger la nature – La Société d’acclimatation (1854-1960)
Rémi Luglia
Pourquoi a-t-on raison de célébrer 1912
Séminaire AHPNE-LPO
Rémi Luglia, 2012
Le cheminement des naturalistes vers la protection de la nature en France (milieu du XIXe – milieu du XXe siècle)
Rencontres Bourgogne – Nature
Rémi Luglia
Egalement
20 000 ans ou la grande histoire de la nature
Stéphane Durand
Une chasse au macareux en Bretagne. Article de l’hebdomadaire « La Chasse mai illustrée », daté du 7 mai 1881 , republié sur le site de l’association Ar Jentilez
Chapellerie criminelle (en anglais)
Fashioning Feathers
Histoire de la Royal Society for the Protection of Birds (en anglais)
Site de la RSPB